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Auteurs Vertigineuses
31 mars 2006

Une rue, des hommes, des femmes.

        Plantée, là, dans la rue, je restais comme bloquée par un souffle incertain, juste ici. Le froid me mordait un peu le bout des pieds, en attendant qu’une main bien heureuse veuille bien m’ouvrir la porte de chez moi, comme je n’arrivais pas à le faire moi-même. Mais le spectacle quasi silencieux que m’offrait le paysage pavé de mon quartier me tenait en haleine, me faisait attendre la suite, et même le commencement d’un acte quelconque qui sortirait de l’ordinaire. La volonté que l’on a parfois de vouloir voir quelque chose ne soupçonne pas souvent la souffrance qui se cache derrière des façades bien avenantes…

Tout d’abord se présenta devant mes jeunes yeux une petite fille, que j’entendis être nommée Cécilia, accompagnée de sa mère, tenant, subissant le cartable de la petite. Elles s’arrêtèrent devant l’immeuble en face de chez moi et engagèrent une négociation somme toute assez houleuse avec une voix masculine émanant de l’interphone crasseux trônant au pied du mur, tout aussi crasseux. Il semble que quelqu’un doit ouvrir la porte d’entrée. Dix bonnes minutes plus tard, un homme descend, sûrement convaincu par les cris et le compte à rebours martelé par Cécilia alors que sa mère fait semblant d’être en extase devant la vitrine de l’antiquaire le plus proche, priant sans doute pour que personne ne fit le lien entre elle et la petite qui criait des nombres sans foi ni loi, mais dans l’ordre. Un second homme descendit et il me semble avoir entendu qu’ils partaient tous à la fête foraine ayant lieu de l’autre côté de la Seine. Une question me vint à l’esprit : leur glauque histoire allait-elle donc bien finir, embuée de barbe à papa, de manèges grisants ? Toujours est-il qu’ils disparurent au coin de la rue, sans se préoccuper un instant de ce que j’avais pu voir ou entendre.

Pendant ce que je qualifierai de cette scène, un homme bien « entamé » qui avait dû passer les dix ou même quinze dernières minutes dans un bistrot de la rue d’à côté titubait en essayant d’atteindre le fameux coin de la rue. Il coupa la route à un couple de personnes d’âge mûr, s’appuyant tantôt sur le pied gauche, tantôt sur le droit, mais semblait cependant de bonne volonté : il était presque mignon, ou peut-être attachant. Il tenta même de guider un automobiliste citadin, donc stressé, à manœuvrer son véhicule afin de le rentrer dans son garage en lui faisant part de ses conseils imbibés, que l’homme occupé lui renvoya dans la face avec un geste désinvolte et méprisant qu’il n’aurait pas fait si le pochtron avait voulu l’aider à se relever après un malaise sur la voie publique, ce qu’il aurait trouvé normal. L’éponge portait un costume assez sobre et trop propre pour se laisser aller à un mal-être qui n’est saillant qu’aux miséreux.

Ensuite arriva un passant sans couleur qui salua toute la rue. Il me dit clairement bonjour et je lui répondis d’un marmonnement et d’un sourire, ce qui sembla le satisfaire, alors que je me sentais soulagée de ne pas avoir eu à en faire plus. Il me faisait peur, comme tous les inconnus, bizarrement. Mais je restais là, au spectacle au milieu de la rue, sans réfléchir, transpercée par une réalité qui ne m’intéresse pas forcément. Je reste. J’attends. Je bouge enfin.

Repue de visions de tranches de vie qui ne m’appartenaient pas, que j’avais volé au détour d’une rue pavée, je parvins à faire face à ma porte et à l’ouvrir, apportant au passage le courrier à l’horloger d’à côté, que je trouvais très gentil et courtois, et courant jusqu’à mon logement, que je trouvais si vide, que je filai à la fenêtre, histoire de regarder ce qui se passait en face, sans voir celui qui portait un pull rouge et qui regardait ce qui se passait chez moi. 

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